La fabrication de la personnalité sociale

La personnalité sociale (notre type de comportement par rapport à notre entourage) est quelque chose d’intime. On pourrait imaginer être un acteur peu touché par le rôle que l’on joue, mais quand on impose une personnalité à un bambin, il n’a alors pas le recul nécessaire pour avoir conscience qu’on lui impose un rôle et qu’il pourrait éventuellement en changer. Même par la suite il est difficile de ne pas être abîmé par un rôle imposé, d’autant plus que des activités de prise de conscience des rôles (comme le théâtre) sont marginales. \
Je pense d’ailleurs que la marginalisation des acteurs par le passé était dûe au fait qu’ils apportaient, de par leur pratique, l’idée alors inacceptable que l’on a la liberté de changer de rôle.

Nous allons d’abord voir en quoi la société a besoin de rôles, puis en quoi ce besoin de rôles descend en profondeur jusqu’à la personnalité.

Le besoin de rôles

Il existe en psycho/sociologie des expériences intéressantes sur les rôles.

Expérience 1: On prend un groupe de personnes au hasard qui doivent vivre ensemble quelques temps. Alors un rôle de chef et un rôle de bouc émissaire sont attribués automatiquement. Si on enlève le chef ou le bouc émissaire, de nouvelles personnes auront ce rôle.

Expérience 2: On ment à un professeur et on lui annonce qu’il aura une classe de bons élèves (en fait ils ne sont pas si bons). Alors le niveau de la classe montera au cours de l’année.

Ces deux expériences nous montre que notre société exerce des pressions sur des individus pour prendre des rôles. Ces pressions peuvent être positives (le professeur heureux qui valorise ses élèves) ou négatives (« toi t’es nul »).

Le besoin du rôle du chef: nous savons très mal nous organiser sans chef. Le chef s’identifie au groupe, prend les décisions rapidement, représente le groupe. Quand un groupe n’a pas de chef et qu’une décision doit être prise, alors les personnes parlent longtemps, se chamaillent etc. Au bout d’un moment une personne décide pour le groupe et parle le plus fort pour diriger les autres. Si les autres personnes acceptent ce nouveau chef alors il ne subit pas de moqueries et est suivi.

Le besoin du bouc émissaire: à l’opposé du chef, le bouc émissaire est le dernier dans la hiérarchie. Notre organisation actuelle a besoin d’un dernier pour savoir sur qui retomberont les tâches ingrates (par exemple qui exclure en cas de surnombre). Ce rôle est important en cas de stress du groupe, par exemple une nation stressée utilisera certaines communautés facilement identifiables comme bouc émissaire.

Il existe d’autres rôles plus subtils: l’intellectuel, l’artiste, le comique etc.

On pourrait imaginer ces rôles comme une sorte de travail qui ne nous touche pas. Mais notre société a besoin de stabilité et de fiabilité. Ainsi le président de la république ne doit pas faire du théâtre dans ses loisirs car alors il serait trop artiste: un artiste fuit les contraintes sociales pour mieux exprimer ses vérités intérieurs, un président doit obéir aux contraintes sociales.

Nous exerçons tout à chacun des pressions sur les personnes qui sortent de leur rôle: par exemple quand un chef a un comportement un peu farfelu nous allons alors nous moquer sous cape. Il sait alors par les bruits qui court qu’il ne doit pas aller plus loin. D’un autre côté, si un clochard a un discourt cohérent pour proposer quelque chose, il a alors peu de chance d’être écouté, simplement parce que ce n’est pas sa place de proposer quelque chose, et même si on veut dépasser nos aprioris, on est alors méfiant car comme la personne a de grands besoins insatisfaits on craint qu’il y ait anguille sous roche.

La personnalité est aussi un rôle

Nous voyons donc que prendre un rôle est quelque chose d’important pour la société, que nous sommes poussés être cohérent dans ce rôle et à le porter complètement. Les rôles ont une composante émotionnelle importante. Par exemple le professeur doit avoir le sens de la hiérarchie: il doit se comporter très différemment suivant qu’il a affaire à un élève ou à un de ses maîtres. Ainsi pour être professeur il faut pouvoir rejeter le libre arbitre de la curiosité enfantine et exercer une oppression pour contraindre l’enfant à apprendre ce que le professeur veut. Comme il n’est pas naturel d’avoir un comportement si oppressif, cela implique des contraintes forte exercées sur l’enfant futur professeur. Il devra lui aussi se voir dénigré dans ses choix d’intérêts et se voir sans cesse poussé à suivre la voie donnée par ses supérieurs (parents, profs etc).

Ainsi, bien souvent, les parents ne connaissent qu’une forme de personnalité qu’ils croient attachée à leur corps comme le nez sur le visage. N’ayant que très peu de liberté ils transmettent en spectateur leur personnalité à l’enfant et c’est à peine s’ils remarquent qu’ils utilisent exactement les mêmes formules et intonations que leur propres parents.

Par exemple on répétera souvent à un enfant d’ouvrier « tu es un bon à rien » et si l’enfant utilise des mots trop sophistiqués alors il est moqué, car alors il sort de son rôle. L’enfant comprend inconsciemment qu’il sera brimé s’il sort de son rôle. Mais que se passe t-il si un enfant d’ouvrier se met à avoir des bonnes notes ? Alors les parents pourront lui dire « c’est bien », mais alors il y aura une désidentification des parents et un rejet émotionnel qui se fera sentir inconsciemment. Par exemple le papa n’ira plus à la pêche avec l’enfant pour qu’il fasse plus de travail scolaire etc. Les parents seront mal à l’aise avec l’enfant et ne seront pas comment se comporter par rapport à un enfant qui ne leur ressemble plus, ils pourront par exemple lui faire trop de compliments, ou encore être moqueur. L’enfant sentira cette gêne et y remédiera probablement en reprenant des mauvaises notes.

Retrouver sa liberté

La personnalité sociale est profondément encrée, reprendre de sa liberté demande à la fois une prise de conscience (voir par exemple les livres d’Alice Miller) et un environnement favorable.
Nous sommes des individus très sensibles à la base et il est important de s’aménager des moments de liberté sans avoir à justifier de ce que l’on fait auprès d’autres personnes, même ses proches. Cette liberté, nous l’avons au creu de la nuit et nous faisons alors souvent des rêves aux messages libérateurs, mais il est vraiment bon d’avoir d’autres moments de liberté.

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