Présentation
La France choisit ses politiciens par le spectacle de joutes oratoires dans les rings médiatiques. Comment alors espérer une politique qui ne se fasse pas aux gants de boxe ?
Nous allons ici démonter les rouages de cette mécanique infernale, voir qu’il suffit de quelques légers changements pour produire des décideurs politiques de bien meilleur niveau, et voir enfin pourquoi seul un mouvement populaire pourrait amener ces petits changements.
Pour commencer voici une vidéo d’Aequivox mettant en lumière les mécanismes psychologiques des débats politiques :
Cet affrontement est cousu de violence verbale. Pour réfléchir aux mécanismes en jeu imaginons pire : comment fonctionnerait le choix des politiciens …
… si la violence physique était autorisée
Imaginons la scène : un des deux politiciens tape du poing sur la table et déclare d’une voix forte “Vous ne dites que des âneries monsieur alors fermez là!”, l’autre répond “Je t’attends, quand tu veux!”, l’un se lève etc.
Pourrait-on voter pour le candidat qui s’est fait écrasé ?
Dans la mesure où l’on cherche un leader performant, il est très difficile de voter pour celui qui échoue. Nous nous retrouverions donc avec des élus baraqués et bagarreurs, qualités aux antipodes de ce qui est nécessaire pour diriger un pays.
Le choix des citoyens
Les citoyens sont coincés car ils doivent juger sur ce qu’on leur donne et en la matière les médias ont tout pouvoir. Le travail d’un dirigeant politique est principalement de faire des choix sociétaux complexes pour le bien commun, et c’est fort loin de ce sur quoi on les choisit : paraître dominant. On finit alors par se retrouver avec des personnes spécialisées en verbe haut.
Nous étions dans un régime où nous n’avions pas le choix des dirigeants, il était clair que pour que ce soit les citoyens qui choisissent il fallait qu’ils interviennent. Nous avons alors utilisé la forme la plus simple d’intervention : le vote. Mais nous votons sur la base des informations que nous avons et cela a une énorme influence. Si les médias donnaient une vue différente alors notre perception serait différente et les partis politiques s’adapteraient pour présenter les meilleurs candidats possibles suivant ces nouveaux critères.
Actuellement les partis politiques sont, pour espérer gagner, contraints de présenter des candidats adaptés à la vision médiatique. Pour cela ils calquent le système de sélection interne au système médiatique (discours et joutes). Nous avons donc, avant même de pouvoir voter, un choix limité à des champions de la sélection par les médias. Plus le système perdure et plus la concurrence pousse à abandonner des valeurs morales plus hautes au profit des critères de sélection. On se retrouve alors avec des personnes hyperspécialisées dans le domaine (Sarkozy, les Le Pen) et consacrant donc bien peu de ressource pour d’autres valeurs.
Imaginons que nous utilisions notre système de sélection des candidats et de vote pour les différents postes tels que chercheurs, juges, policiers, boulanger, PDG etc. Ne ressentez-vous pas comme un malaise, une impression que toute notre société sombrerait dans le n’importe quoi ? N’est-il pas temps de prendre en main les critères de sélection des politiciens, et donc les types d’informations diffusées sur ces personnes ?
À quoi s’intéressent les téléspectateurs ?
Les médias de masse ont comme premier objectif de faire de l’audimat. Hors un principe de base en pédagogie est de partir des motivations des personnes. Ces deux principes proches sont loin d’être négatifs en eux-même, c’est l’absence d’objectifs – ou pire des pervers – qui peuvent les rendre négatifs. On peut par exemple profiter de l’intérêt pour le stress pour stresser encore plus les personnes sans offrir d’outils de compréhension et de maîtrise, on diffuse alors en priorité les nouvelles dramatiques et des films durs tout en censurant tout ce qui délivre du stress : films (comme « La Vague »), documentaires (comme « Chroniques de la violence ordinaire »), débats, théâtre forum ou encore téléréalité (comme « Le Jeu de la mort ») sur la psycho-sociologie du stress. Pour couronner le tout les médias se prétendent neutres et suivant simplement l’audimat, l’appétit des puissances financières pour les médias étant occulté.
Les spectateurs aiment les émotions, les grands enjeux, le concret et la participation.
Notre culture élitiste nous poussent à rejeter ces intérêts vus comme vulgaires. Il serait trop long de détailler la fonction de cette vision culturelle, nous allons apporter ici quelques éléments incitant à penser que ces intérêts peuvent être positifs :
- Les émotions : le livre “L’Erreur de Descartes” écrit par le neuroscientifique António Damásio montre que les émotions sont capitales dans notre pensée, même celle abstraite.
- les grands enjeux : il est normal de s’occuper de ce qui est important en premier.
- le concret : les abstractions n’ont d’intérêt que parce qu’elles débouchent sur des effets concrets. Il est normal de partir du concret comme intérêt de base, c’est en comprenant le fonctionnement du concret que l’on débouche sur des notions plus abstraites.
- la participation : il est dans la nature humaine d’aimer l’action et de se sentir partie prenante.
Mais ces intérêts peuvent devenirs vains avec des médias superficiels et saturant de stimulations.
Deux voies d’amélioration des médias
Pour aider à choisir les candidats, les médias peuvent s’améliorer dans deux directions:
- Aider à l’organisation de la réflexion collective :
Le fonctionnement de la réflexion collective actuelle est le suivant : des journalistes et commentateurs donnent leurs opinions, les citoyens discutent un peu entre eux et réfléchissent un peu sur le sujet. Le temps de réflexion personnelle (sans tenir communication ou prise d’information) est infime par rapport au temps d’écoute. Il ne peut donc représenter qu’un poids très faible face au flux régulier d’opinions diffusées. Les médias pourrait apporter des questions et faire participer à la réflexion collective, mais à la place ils apportent des réponses d’autorités (les fameux “experts”).
Les médias pourraient donc grandement aider à la réflexion collective en laissant une grande place aux questions et aux enquêtes dans une forme participative et riche.
- Offrir une meilleure vision sur les candidats :
Si un mathématicien devait en évaluer un autre il pourrait utiliser divers critères comme lire les théorèmes qu’il a démontrés ou encore discuter avec lui.
Un évaluateur ignorant les mathématiques pourrait facilement utiliser de mauvais critères (par exemple exercices de calcul mental). Pour éviter de se tromper sur les critères le non-mathématicien pourrait simplement vérifier si le travail qu’il a fourni est réutilisé par les autres mathématiciens.
Nous voyons donc que plus l’évaluateur a une vision pertinente et profonde et plus les critères d’évaluation peuvent être détachés des conditions réelles. Il est donc important de fournir des critères d’évaluation adaptés aux évaluateurs.
Le système d’évaluation actuel repose sur des déclarations et des joutes. Pour produire une évaluation efficace le citoyen devrait donc avoir construit ses propres représentations en matière sociale, économique, écologique etc. En pratique les citoyens n’ont pas le temps de devenir des experts dans de multiples domaines et utilisent donc les représentations déjà fournies (et donc fortement influencés par l’enseignement et les médias).
Comment aider à l’organisation de la réflexion collective ?
Voici ici quelques idées sorties de mon imagination :
Ouvrir les questions
Les spectateurs pourraient utiliser internet pour proposer et voter pour les questions à traiter en priorité. Ils s’agirait de questions ouvertes, par exemple “Interdire l’immigration est-il économiquement rentable ?” ou encore “Comment réduire le chômage ?” .
Ouvrir les réponses
À partir des questions à traiter, n’importe quel citoyen ou groupe de citoyens à but non lucratif pourrait proposer une vidéo réponse. Internet serait utilisé pour sélectionner (par vote) les meilleures réponses qui seraient diffusées à la télévision.
“Mon émission”
Un système sur internet permettrait à tout à chacun de décrire une émission télévisée. Par vote les spectateurs choisiraient l’émission préférée. La télévision devrait alors donner les moyens à la personne ayant proposé cette émission pour la réaliser et devrait la diffuser.
“La bonne décision”
Des universitaires n’étant pas liés à des intérêts économiques et toujours différents (actuellement la télévision invite toujours les mêmes, et s’ils sont présentés par leurs titres universitaires ils ont souvent d’autres postes influençant leurs opinions, voir “Les nouveaux chiens de garde”) proposeraient des situations à résoudre à des candidats. Après un temps de réflexion chacun devrait proposer une solution. Les universitaires devraient alors expliquer celle qui marcherait et celles qui ne marcheraient pas, après un temps de débat tout le monde voterait publiquement (y compris les candidats) pour élire la meilleure décision. Les candidats auraient des points si leur solution est choisie mais aussi un peu s’ils ont choisi la solution élue (pour pousser à ne pas juste voter pour soi).
Comment offrir une meilleure vision sur les candidats
Ici aussi quelques idées sorties de mon imagination :
Les candidats en participants spéciaux des émissions de réflexion collective
Pour toutes les émission de réflexion collectives (comme celles décrites ci-dessus) les candidats auraient leurs propres émissions en tant que participant.
Les candidats en télé-réalité
Les décisions politiques sont complexes car elles influencent un système composé lui-même d’un ensemble de systèmes complexes (écologie, société, économie etc). Il est facile de justifier les décisions par quelques arguments, mais la réalité rattrape bien souvent les visions trop simples.
Des associations ou entreprises ayant des problèmes pourraient faire appel à un candidat qui serait suivi par une caméra. Pendant une période fixée (entre une semaine et un mois) il pourrait avoir une influence sur la structure pour résoudre le problème. On pourrait imaginer la tâche insurmontable car nous sommes habitués à des candidats peu performants. Mais si on lit par exemple “Liberté & Cie” (auteurs Isaac Getz et Brian M. Carneyr) on voit qu’il existe des personnes capables de résoudre des problèmes complexes là où d’autres échouent, n’est-ce pas ces personnes qui devraient être au pouvoir ?
Où est passée la démocratie ?
La société est vivante, et comme l’esprit, elle se perd si on ne l’entretient pas. Certains changements peuvent se faire par le pouvoir, mais quand il s’agit de réorganiser les pouvoirs il ne faut rien attendre d’eux si ce n’est quelques améliorations de leurs conditions de vie.
Le pouvoir de l’influence est énorme, et sans la démocratiser les libertés se délitent. François Guizot, politicien du début de la république, a très bien compris la force de ce pouvoir et comment le contrôler (cherchez “gouvernement des esprits” dans ses mémoires), il est temps de sortir de ce système. S’il est méconnu, ce n’est pas par manque d’importance, mais parce qu’il a eu une importance réelle sur des rouages bien peu nobles.
Comment faire ?
On pourrait s’épuiser à demander de tels changements, au mieux on n’obtiendrait que des versions déformées servant à plomber l’envolée démocratique.
La télévision a un rôle central car elle sert à la cohésion sociale. Notre société fonctionne à base d’autorités (l’autorité des professeurs, des patrons, des politiques, des scientifiques etc). Les médias n’échappent pas à cette organisation et occupent la place d’autorité informationnelle et culturelle.
Un pas en avant serait de créer une forme proche de cette autorité de l’information, mais basée sur la participation démocratique. Il pourrait s’agir d’un fonctionnement par internet mais avec la même prétention qu’une chaîne de télévision : être une autorité d’influence.
Il ne s’agirait pas d’ un média satellite mais de prétendre au trône! Les armes sont ici celles d’influence. Dire des vérités ou laisser la parole est une influence, il n’est pas nécessaire d’être immoral pour gagner cette guerre. Les médias classiques, par leur soucie du contrôle, son obligés de se répéter inlassablement pour ne pas risquer d’émanciper : émissions différées, toujours les mêmes présentateurs, “experts”, idées, émissions etc. En 40 ans de télévision il n’y a guère eu que “Droit de réponse” comme émission un peu libre (en direct et débats réellement ouverts sur la société), la reprise de la chaîne par Bouygues y a mis fin. En créant un média ouvert on apporte une grande richesse.
Youtube, les médias et la cohérence
Youtube est une vaste bibliothèque ouverte de vidéo, une télévision du pouvoir économique ou politique impose un contenu correspondant à la vision de ce pouvoir, une télévision participative impose un contenu correspondant à son système participatif et aux spectateurs.
Notre société a besoin de cohérence pour prendre des décisions et aller dans le même sens. Le niveau zéro de la cohérence est un système purement autoritaire, le niveau un est un système autoritaire avec élection des autorités politiques et législatives, mais toujours purement autoritaire pour l’économie (sauf les entreprises libérées) et les médias. Passons au niveau deux : on remplace l’autorité d’influence culturelle et informationnelle par des médias participatifs.
Comment garder une cohérence tout en étant participatif ?
Si le média participatif aboutit à un patchwork d’opinions et de styles on a alors un reflet de la société, ce que propose déjà Youtube. Il n’y a d’intérêt dans un tel média que s’il favorise la mise en cohérence des différentes opinions. Ainsi on passe d’une société où la cohérence des idées provient de l’influence d’autorités (médias, enseignement etc) à une société où la cohérence provient d’une réflexion collective.
Cela peut sembler difficile à atteindre car notre culture est élitiste, mais il s’agit justement d’aller vers un système social où le plaisir de l’aventure, de la recherche de vérité et de la participation est mis en avant plutôt que celui de la fuite dans les loisirs et le tittytainment.